Après le rapport Orsenna, défendre la lecture publique, défendre les services publics !
La publication du rapport Orsenna a permis une (brève) médiatisation de quelques enjeux autour de la lecture publique. Mais quelques bonnes intentions ne peuvent masquer ni la politique d’austérité du gouvernement qui détruit la lecture publique ni les dangers de certaines propositions. Nous sommes bien loin d’une politique publique digne de ce nom et financée...
Car il n’y a qu’un seul crédo pour notre académicien : « ouvrir le soir et le dimanche, avec des budgets réduits, des contrats aidés et des étudiants ». Eh oui, voilà quand même en gros ce que propose ce fameux rapport. Et encore, à condition, selon Erik Orsenna, que l’État « accompagne financièrement » la mise en œuvre de ces objectifs. C’est-à-dire l’augmentation de huit malheureux petits millions d’euros de la dotation générale de décentralisation en faveur des bibliothèques pour les cinq années à venir, mais à condition seulement de « soutenir 200 projets d’extension d’horaires ». Il s’agit donc de ne financer que l’extension horaire alors que tous les budgets baissent. Jusqu’à la crise que subissent nombre de nos collègues partout en France.
Ainsi, sous le coup de restrictions de dotations, de nombreuses collectivités sont asphyxiées, réduisent leurs budgets culturels et à certains endroits ferment des bibliothèques (Grenoble, Levallois-Perret...). À Brest, Metz, Rouen, Marseille, Laval, Saint-Malo, Caen, Saint-Quentin-en-Yvelines, Lyon... les bibliothécaires dénoncent la baisse des moyens permettant d’exercer correctement leurs missions. La situation devrait encore s’aggraver alors que l’État doit réduire de 120 milliards d’euros la dotation aux collectivités locales d’ici la fin du quinquennat ! Pour les bibliothèques départementales de prêt s’ajoutent aussi la métropolisation et la fin des départements...
Dans ce contexte de désengagement de l’État, le rapport envisage « la mutualisation de locaux et de personnels d’accueil » entre les bibliothèques et les agences postales, le recours accru aux étudiants et aux contrats aidés « chaînon indispensable entre les professionnels et les bénévoles ». Dans le réseau parisien, des ouvertures le dimanche se sont faites contre l’avis des équipes et sans création de postes. La baisse des effectifs a eu aussi pour effet de réduire les horaires d’ouverture, le matin notamment ou pendant les vacances scolaires...
Un ancien directeur de la DAC, un académicien, une ministre et Jupiter
– Tenez Président, voici le rapport Corbin sur l’état désastreux des bibliothèques parisiennes
La « bibliothèque de demain » pour pallier la destruction des services publics ? Considérer que les bibliothèques sont « des outils inestimables pour lutter contre les fractures de notre société » ne doit pas signifier qu’elles doivent devenir un (faux) substitut aux services publics détruits par les politiques gouvernementales. Comme l’Éducation, les bibliothèques ne peuvent pas compenser l’explosion des inégalités provoquées par les politiques libérales !
D’un côté, on gère La Poste ou la SNCF comme des entreprises privées en fermant des bureaux de poste ou des lignes de trains, on réduit les effectifs de Pôle emploi... ; de l’autre, on demande aux bibliothèques de contribuer à l’aide à l’insertion (avec des permanences de Pôle emploi !), à la lutte contre l’exclusion numérique (alors que La Poste va lancer des interventions d’aide numérique aux particuliers... facturées 50 euros !), d’installer des boites à livres dans les trains...
D’un côté, l’État et les collectivités ne donnent plus les moyens à l’Aide sociale à l’enfance de loger et de protéger les mineurs isolés étrangers (comme la loi les y oblige) et dans l’éducation nationale, les classes pour les jeunes primo-arrivants (avec des enseignants spécialisés en FLE) sont menacées par la baisse des moyens ; de l’autre, le ministère de la Culture souhaite développer dans les bibliothèques l’apprentissage du français, notamment à destination des migrants.
D’un côté, le rapport entend promouvoir « l’éducation à la lecture », par le développement des partenariats avec l’Éducation nationale et la création de modules de sensibilisation aux « fake news » ; de l’autre, le budget moyen par élève baisse, les créations de postes d’enseignants sont largement insuffisantes pour répondre à la hausse du nombre d’élèves, le nombre d’élèves par classe augmente, le nombre de vacataires recrutés par Pôle emploi et le nombre d’absences non remplacées augmentent aussi...
Le rapport préconise aussi des actions à destination des moins de trois ans et de leur famille, en partenariat avec les professionnels de la petite enfance. Dans le même temps, un projet d’ordonnance pour l’accueil des jeunes enfants prévoit des mesures de simplification et de nouvelles possibilités de dérogation qui risquent de se traduire par des normes d’encadrement dégradées et un appel toujours plus important à des personnels non diplômés...
Sans parler de la dernière offensive des éditeurs de la SCELF qui entendaient taxer les lectures à voix haute... Le rapport ne dit rien sur le droit de lire des livres aux enfants (et au-delà) et la protection de ces usages collectifs... Dans le réseau parisien, la fin des subventions à l’association L.I.R.E à Paris, laquelle intervenait dans les structures de la petite enfance, avait déjà constitué un net recul sur ce plan. Les bibliothèques doivent faire partie de vrais dispositifs publics d’accès aux droits. Elles ne doivent pas devenir le cache-misère des politiques libérales de destruction des services publics.
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